Quand le football fait son “Tour de France” !

Une découverte…

L’idée de cet article, c’est d’avoir un jour déniché sur le Web de vieilles photos en vente ; celles d’un match se déroulant à Paris.  L’occasion était trop belle de trouver là une chouette décoration pour mon bureau et surtout de découvrir une page peu connue de l’histoire du football en France.

Une petite histoire…

Le 1er décembre 1938, une drôle d’équipe de football embarque de New York à bord de l’US Manhattan pour un voyage spécial en Europe.  À l’instar de missionnaires, le coach de Fordham, Jim Crowley, un des ‘quatre cavaliers de Notre Dame’, son assistant Glen Carberry et 24 joueurs de différentes universités partent pour la France pour montrer ce qu’est le football américain.

L’idée d’un ‘Tour de France’ est venue d’Europe où vivent une petite colonie d’Américains mais surtout un certain Kurt (Curt) Riess, journaliste pour Paris-Soir.  Ce dernier veut en effet montrer de nouveaux sports comme le football afin de l’importer en Europe et principalement en France.  Son projet initial était de créer une équipe composée de rugbymen français qui auraient étudié les règles du football, et de les opposer à une équipe américaine.  Cette option ne pourra cependant pas se faire, comme le déclare Crowley avant son départ : “J’ai reçu un câble l’autre jour de Mr Riess, qui est en France actuellement, me demandant de prendre des joueurs en plus.  Cela nous indique que nous jouerons plus que des matchs d’exhibition.  De toute façon, nous partons dans ce voyage avec une bonne dose de plaisir et nous espérons que les Français aimeront le jeu et nous-mêmes.” Les joueurs sélectionnés par Crowley ne sont pas des inconnus pour l’époque et représentent bien le niveau des collèges ; même si quelques ‘All-Americans’ se sont joints à eux.  Dès lors, au Havre, joueurs et coachs décident de se scinder en deux équipes : une ‘All-Stars’ et une autre, dénommée ‘New York’.  Ces deux équipes n’existeront que l’espace du mois de décembre 1938, et pour 6 matchs programmés à Paris, Lyon, Narbonne, Marseille, Toulouse et Bordeaux.

Du Havre, les joueurs partent directement vers Paris et son ‘Parc des Princes’ où se joue leur premier match, le 10 décembre.  On estime les spectateurs entre 20.000 et 30.000, principalement des Parisiens mais aussi beaucoup d’Américains et plusieurs joueurs de rugby, intrigués.  Ce match est sans doute celui qui a été le plus suivi par les journalistes, français et américains.  Pathé-Gaumont a même réalisé un reportage sur ce match.  Les autres exhibitions ne feront plus l’objet que de rares articles et la plupart des photographies publiées viennent de la date parisienne.

Tous les journaux indiquent que c’est là le premier match de football en France, mais c’est faux !  Juste après la Première Guerre mondiale, le général Pershing a expérimenté plusieurs activités sportives pour le Corps expéditionnaire Américain (American Expeditionary Forces – AEF), le temps que ces militaires rentrent à la maison.  Pour cela, quelques championnats furent créés en baseball, basketball et, bien entendu, en football.  D’ailleurs, le 29 mars 1919, dans ce même ‘Parc des Princes’, une finale opposa la 89e division à la 36e division devant près de 30.000 Américains venus spécialement d’Allemagne par trains.  Il faut dire que la 89e était stationnée près de Koblenz.

Dans un article publié le lendemain, le New York Times résume les impressions du public ainsi : ‘ (le jeu) souleva des critiques françaises pour un sport combinant le rugby, le football (soccer) et du basketball, additionné de catch et de combats de taureaux (bullfighting).’  Ce qui est vrai, c’est que, même si des journalistes s’étonnent du jeu en lui-même, d’autres critiques visent surtout l’organisation.  “Ont-ils été surpris par le succès ?”, écrit André Reichel dans Le Figaro, en pointant que tous les spectateurs n’étaient pas encore dans le stade au moment du coup d’envoi ; 2.000 personnes étaient toujours bloquées dans les tourniquets du stade.

La seconde critique est plus culturelle dans un pays où le football est également le soccer ; et c’est encore la raison pour laquelle le football est toujours appelé “football américain” de nos jours.  Le football (soccer) et le rugby sont deux sports traditionnels en France et le football (américain) mixe ceux-ci ; il n’est dès lors pas surprenant que les commentaires n’aient pas été aussi enthousiastes qu’espérés.  “L’absence d’enjeu, la certitude que nous avions de voir une démonstration, la volonté affichée par les joueurs de faire un match classique, automatique et bien réglé à l’avance ont permis à cette ‘rencontre’ de retenir l’intérêt des spectateurs pas plus de 10 minutes sur les 90 !!(). »   Pourtant, le journaliste reconnaît « la grande classe des feinteurs américains » mais termine surtout par la violence de ce sport.  « Certaines statistiques ont donné 25 à 30 morts par an et 250 blessés, dont de nombreux très gravement.  Malgré cela, ce sport connaît aux États-Unis un succès et une vogue considérables.  Le peuple américain s’accommode facilement de ce danger, mais nos peuples européens, et les Français notamment, accepteraient-ils de voir s’implanter un sport semblable chez eux ?  Nous en doutons fort. »

Après avoir bien expliqué que ce sport n’était pas pour les filles, L’Humanité offre un résumé du match, malheureusement sans indications de noms de joueurs.  Dans le 1er quart, All-Stars marque un touchdown mais rate le coup de pied.  Au 2e quart, New York inscrit deux touchdowns pour prendre la tête à la mi-temps 14-6.  Mais, en seconde période, All-Stars inscrira trois touchdowns avec seulement une conversion au pied, pour l’emporter au final 14-25.  Et le journaliste de conclure : “Ce rugby, qui tient plus du catch que du football (soccer), demande de constantes interruptions pour permettre le choix d’une tactique pour les joueurs.  Nous doutons que ce jeu puisse s’implanter en France […].  Il demande un entraînement trop sévère, trop précis, trop poussé pour plaire à nos athlètes. […]  Nous avons admiré les capacités athlétiques des joueurs, leurs forces physiques, le courage et l’acharnement qui les animent, la vitesse d’exécution sont autant de belles choses que nous avons vues hier.  Il est certain que le football américain est une dure école pour ceux qui le pratiquent.  Il demande une décision, une volonté, un mépris du danger que peu de sports exigent”. 

Sur plusieurs photographies, les joueurs portent 4 jeux de maillots : un complet foncé, un autre partiel (au niveau des coudes), et deux plus clairs dont un uni et un autre à bandes colorées.  L’uniforme complet foncé pourrait être de couleur marron, celui de Fordham, même si ce n’est qu’une supposition.

Deux jours après le match, Le Figaro s’offusque d’un projet de création d’une ligue de football et la possibilité pour des joueurs français d’apprendre des Américains les règles de jeu.  Cette ‘colère’ n’est pas tournée contre le football, mais bien plus contre la ligue de rugby et le professionnalisme dans ce sport.  Et de conclure : “Si le rugby amateur avait gardé son autorité d’antan, et l’esprit sportif qui présida à ses débuts, il y aurait peu de rugby professionnel et la simple annonce d’une ligue de rugby américain soulèverait des rires unanimes.” Quand ces articles sont publiés, les équipes menées par Crowley ne sont plus à Paris mais déjà en route pour leur tour de France.

Le 11 décembre, un second match d’exhibition à lieu à Lyon avec une victoire, cette fois-ci, de New York (28-26).  Même si le nombre de spectateurs n’est jamais clairement précisé, il se situe sous la barre des 10.000.  Le troisième match à Narbonne est encore moins documenté.  Seul un article du New York Times cite la nouvelle victoire de New York, sans pour autant donner le score ni la date du match.  Le 18 décembre, c’est à Marseille, au stade municipal, que se tient la 4e rencontre et devant un public estimé entre 7.000 et 8.000 personnes.  New York continue sa série avec une victoire 32 à 20.  

Dans son article relatant le match, le Times suggère que des joueurs de rugby français se sont joints aux joueurs américains de l’équipe de New York.  Nulle part dans les journaux français, je n’ai vu une confirmation de cela et la présence de joueurs de rugby dans ce match tient plus de la légende.

Le 5e match à Toulouse est encore plus bizarre parce qu’un seul journal en donne le résultat.  Dans une brève, le Petit Journal indique juste que les All-Stars ont battu New York 26 à 19.  Même la date du match est incertaine.  Le New York Times donne la date du 19 décembre alors que ce match était annoncé pour le 21.

La dernière confrontation se déroule au stade municipal de Bordeaux, le 25 décembre.  Devant 6.000 personnes, un jour de Noël et dans un pays où ce sport était complètement novice, il apparaît qu’un certain enthousiasme pour le football existe, et ce, malgré la température avoisinant -15°C.  Le résultat est une nouvelle victoire des All-Stars par 37 à 34, permettant à chacune des équipes d’avoir le même nombre total de succès.

Le 27 décembre, et dans une totale indifférence de la part des journalistes, Jim Crowley et ses joueurs quittent Le Havre pour repartir aux États-Unis.

Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre de ces joueurs furent enrôlés dans l’armée, stoppant leurs carrières professionnelles, comme Frank Souchak, des Pittsburgh Pirates/Steelers, ou encore Frank Mautte avec les Giants de New York, Ed Franco pour les Boston Yanks.  Certains autres reviendront sur les terrains, après la guerre, comme coachs, à l’instar de Vic Fusia, 5 fois champion avec UMass entre 1961 et 1970.  Idem avec Leo Shields avec Barnstable, John Bateman avec Rutgers ou John Michelosen pour l’Université de Pittsburgh entre 1955 et 1965.

Au final, c’est très difficile de savoir si cette tournée tenait plus de l’exhibition (comme un cirque passant de ville en ville) ou s’il y avait une volonté réelle d’installer le football en France.  Il semble en tout cas que le choix des villes n’est pas anodin.  Paris, Narbonne, Toulouse et Bordeaux sont des hauts lieux de rugby ; quant à Lyon et Paris, elles offrent un réservoir de joueurs de football (soccer). Avec un total de 50.000 spectateurs sur l’ensemble de la tournée, pour un sport inconnu et en plein mois de décembre, ça souligne néanmoins l’intérêt réel que ça a suscité.  Il faut attendre 1980 pour que se crée la Fédération française de football américain et les années 1990 pour que la NFL investisse dans le marché et les joueurs européens avec la NFLE.  Un demi-siècle plus tard, le rêve de Riess est devenu réalité. 

1955 Topps All American – [Base] #58 
Ed Franco

Joueurs :

NamePos.University
Ed FRANCOLineman / Left tackle / GuardFordham
Nat PIERCELineman / GuardFordham
Joe WOITKOSKIHalfbackFordham
Frank MAUTTEHalfbackFordham
Tony DE NATALEQuarterbackBoston College
Tom BUCKLEY??Boston College
John JANUSASTackleBoston College
John KILLIAN??Boston College
Earl CRAMPTON??Boston University
Jack WHITEQuarteback / Wide receiverPrinceton
Warren KINGHalfbackDartmouth
George BELLCenterPurdue
Bill FIDLER??Pennsylvania
Vic FUSIAHalfbackManhattan
Ray STOVIAKQuarterbackVillanova
Leo SHIELDSEnd / Tight endHoly Cross
Jim BOWMANCenterHoly Cross
Ed O’MELIADefensive endHoly Cross
Frank SOUCHAKLeft endPittsburgh
John MICHELOSENQuarterbackPittsburgh
John BATEMANGuard / TackleColumbia
Hubert SCHULZE??Columbia
George SAVARESE??NY University
Howard DUNNEY??NY University

Article écrit par Christian Joosten

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